25 septembre 2005

"sexualité"


"La charmeuse de serpents" Le douanier Rousseau

Une question peut être tabou ou pas, mais celle ci est troublante:
Y a t'il vraiment des différences entre les ethnies au regard de nos comportements et moeurs sexuels ?
Cela paraît une question idiote au regard de laquelle, les réponses sont connues et se catégorisent, pour nos sociétés, par continent et religion. Mais qu'en est il vraiment dans les sociétés dites 'prémodernes' ou 'anarchiques' ? comme celles des a-shuars dont le mode de vie a été étudié par Philippe Descola. D'ailleurs, cet anthropologue rapporte une histoire qui en dit long à ce sujet au travers d'une croyance qui explique l'origine des cosmétiques (roucou) utilisés par les hommes ("Les lances du cépuscule pages 113 - 117), je vous la cite dans les lignes qui suivent:

... Deux soeurs Ipiak (roucou) et Sua (Génipa) qu'une voracité sexuelle impossible à satisfaire conduisit à se métamorphoser en ces cosmétiques naturels dont les hommes s'ornent le visage:

"Les anciens disaient qu'il existait autrefois une jeune femme appelée Sua, que nous connaissions maintenant comme une plante pour se peindre; elle avait aussi une soeur appelée Ipiak. Elles étaient toutes deux célibataires et il leur arriva la même chose qu'à nous, lorsque nous n'avons pas d'épouse et que nous avons très envie d'une femme; avec les femmes sans mari, c'est exactement pareil. Elles désiraient beaucoup posséder un homme et elles se mirent en quête, ensemble. Elles avaient entendu parler de Nayap (un martinet à queue fourchue) comme d'un vrai mâle et elles décidèrent de se mettre à sa recherche pour l'épouser. Elles le rencontrèrent sur un chemin en forêt, alors qu'il était parti chasser des oiseaux à la sarbacane; il leur demanda: "Où allez vous ?" et elles répondirent: "Nous allons chez toi." Alors Nayap dit: "C'est bien ma mère est restée à la maison pour moudre du maïs, allez la rejoindre!" Il ajouta, "un peu plus loing le chemin bifurque; sur le chemin qui mène chez moi il y a une plume caudale du perroquet yusa et sur le chemin qui va chez mon frère Tsuna (sanie) il y a une plume caudale du coucou ikianchim; faites bien attention de ne pas vous tromper de chemin ! - C'est entendu", dirent elles, et elles se mirent en route. Mais Tsuna était derrière elles et avait tout entendu. Emoustillé par ces belles jeunes femmes, il décida de les épouser et rentra à toute allure pour intervertir les plumes caudales; les jeunes femmes prirent le mauvais chemin. Nayap, qui ne se doutait de rien, revint chez lui dans la soirée avec beaucoup de gibiers pour les doeux soeurs, il demanda à sa mère: "Les femmes ne sont pas encore arrivées?" et elle répondit:"Non je n'ai pas vu de femmes." Alors Nayap s'exclama:"Que s'est il donc passé! elles m'ont dit qu'elles venaient ici et je leur ai indiqué le chemin", il ajouta:"peut être sont elles allées plutôt chez mon frère Tsuna", il était très mécontent et décida d'oublier l'affaire. Pendant ce temps, les deux femmes étaient arrivées chez la mère de Tsuna; celle ci était en train de malaxer de l'argile pour faire des poteries. Surprises, elles lui demandèrent: "C'est bien toi la mère de Nayap? - Oui, oui, c'est bien moi", s'empressa t'elle de répondre. Les deux soeurs s'installèrent et attendirent le retour de Nayap. Lorsque la nuit fut tombée, il n'était toujours pas revenu; elles demandèrent à la vieille: "Et ton fils où est il ?" et elle répondit qu'il était parti chasser des oiseaux. Elles veillèrent assez tard, jusqu'à ce que la vieille leur dise d'aller se coucher sur le peak. Tsuna finit par arriver en pleine nuit; son aspect était tellement répugnant qu'il avait honte de se montrer à la lumière du jour. Il revenait bredouille de la chasse et rapportait seulement quelques crabes de rivière, mais cela ne se voyait pas à cause de l'obscurité. Il raconta ses prouesses de chasseur pendant que l'on mangeait les crabes et sa mère disait en grommelant:"Les oiseaux que tu as tués sont bien vieux et coriaces." Tsuna s'en fut alors se coucher entre les deux soeurs et toute la nuit se passa en carresses et en jeux érotiques; épuisées, Sua et Ipiak finirent par sombrer dans le sommeil peu avant l'aube. Lorsqu'elles s'éveillèrent, il faisait grand jour et leur partenaire avait disparu; elles s'aperçurent alors qu'elles étaient couvertes d'une sorte de sanie gluante et fétide. Les deux soeurs se demandèrent ce qui avait bien pu se passer et elles décidèrent de ne pas dormir de toute la nuit suivante. Lorsqu'elles furent à nouveau couchées avec Tsuna, elles réussirent tant à le fatiguer avec leurs carresses qu'il s'endormit bientôt; lorsque l'aube parut, elles découvrirent son corps répugnant couvert de sanie. Elles s'éloignèrent vivement et se dissimulèrent. Lorsque Tsuna s'éveilla, sa mère lui dit:"Mon fils tu commences à perdre ta vergogne!" Tout saisi, Tsuna se leva d'un bond, empoigna sa sarbacane et partit en courant vers la forêt. Ayant oublié son carquois, il n'osa pas revenir et appela sa mère pour qu'elle le lui rappoprte; puis il disparut. Les deux soeurs décidèrent d'aller chez Nayap; mais celui ci était courroucé car il se rendait compte à leur odeur nauséabonde que les jeunes femmes avaient couché avec Tsuna. Nayap leur ordonna d'aller se baigner pour laver les sanies dont elles étaient couvertes. Après le bain, elles se frottèrent de feuilles odorantes et revinrent à la maison; mais elles dégageaient encore des exhalaisons infectes et Nayap repoussa leurs avances. Sua et Ipiak se mirent alors en quête d'un autre homme. Elles arrivèrent chez une vieille dont le fils était monstrueux; il était d'un taille minuscule mais son pénis était gigantesque qu'il portait enroulé autour de son corps comme une corde. Sa mère le tenait enfermé dans un grand vase muits posé sur une claie au dessus du lit. Ignorant cela, les deux soeurs demandèrent où il était et la vieille répondait: "Mon fils est parti tuer des ennemis, il n'est pas encore entré - C'est bien, dirent elles, nous allons rester ici pour le prendre pour époux." Tous les jours elles demandaient des nouvelles du fils, et la mère répondait: "Je ne sais pas quand il va revenir." Or, chaque nuit, l'homoncule sortait son immense pénis du muits, le déroulait jusqu'au lit en contrebas et copulait avec les deux soeurs endormies. Au matin, celles ci s'apercevaient qu'elles avaient été pénétrées, mais elles ne comprenaient pas comment. La vieille étant partie au jardin, les deux jeunes femmes se mirent à fouiller la maison et découvraient le muits avec le fils monstrueux. L'ayant trouvé, elles décidèrent de le tuer; elles firent bouillir de l'eau qu'elles versèrent dans le vase et le fils mourut ébouillanté. Sua et Ipiak reprirent leur quête en pleurant; elles ne savaient pas où aller car aucun homme ne voulait d'elles. Tout en cheminant, elles disaient: "En quoi pourrions-nous nous métamorphoser ? Peut-être en collines? Non, car, lorsque les hommes courent les collines, ils se moqueraient de nous et nous aurions honte. Ou bien nous pourrions devenir des grenouilles dans un grand marécage? Non cela, serait aussi honteux ! Pourquoi pas nous transformer en une grande plaine alluviale ? Cela ne convient pas, car les hommes se gausseraient de nous en disant qu'une personne s'est transformée en plaine." A la fin, Sua prit une décision: "Le mieux serait que je devienne Sua, car même les jeunes hommes pourraient dire à laurs épouses: - Donnes moi Sua pour que je puisse me peindre le visage ! et mon nom serait célébré." Puis Sua demanda à sa soeur: "Et toi petite soeur en quoi veux tu te transformer ?" Ipiak répondit: "Et bien alors, moi, je vais devenir Ipiak, car même les jeunes hommes diront à leur épouse: "- Donne moi Ipiak pour que je puisse me peindre le visage, et mon nom sera célébré." Sua se redressa de toute sa hauteur et écarta les jambes; elle poussa un grand cri et devint la plante sua (genipa). Ipiak s'accroupit sur le sol et devint la plante ipiak (roucou). C'est pour cela que le roucou est un buisson bas, alors que le génipa est d'un port élancé. Elles se confondaient si bien avec le taillis que les oiseaux mêmes les survolaient sans crainte. Toutes sortes de gens vinrent alors les visiter pour se faire peindre; Yakum ("singe hurleur") fut enduit de roucou par Ipiak, de même que Kunamp ("écureuil"); chuu (singe laineux") fut bien orné par sua qui lui mit du génipa sur la tête, sur les mains et sur les pieds. Et lorsqu'ils furent tous ainsi embellis, ils se métamorphosèrent. C'est tout."

Ce mythe, je le cite mot pour mot, que l'éditeur m'excuse, mais, est très révélateur des moeurs de cette ethnie, et est intéressant à plus d'un titre:
Les deux soeurs, belles, arrogantes étaient parties chasser "un mari", aveuglées par leur orgueil et audace, elles furent avilies, abusées, et humiliées et au final repoussées par un bel homme à la queue fourchue et par tous ceux dont elles convoitaient la virillité. En décidant d'elles mêmes de leurs épousailles, elles s'exposaient à la honte du désir trop manifeste, alors il leur restait la seule revanche possible, transfigurer leurs souillures pour embellir tous ces amants dédaigneux...
Ce mythe nous apprend que la décision des épousailles n'appartient pas totalement aux futures épouses, mais à leurs soupirants. De plus la polygamie existe dans cette ethnie (elle tend à disparaître de nos jours sous l'influence des sallésiens), et souvent à l'issu d'une vendetta, un guerrier peut hériter de l'épouse de sa victime. Si les épouses n'ont pas forcément le choix en ce qui concerne le choix de leurs époux, un mauvais époux (violent) s'expose à la perte de son épouse, en effet celle ci peut très bien prendre la fuite et se réfugier chez son frère et être à l'origine d'une vendetta à l'encontre de son mauvais époux...
Si une femme peut passer d'époux en époux au gré des vendettas, ces derniers doivent également assumer pleinement leurs responsabilités dignes de tout grand homme (subvenir aux besoins de leurs épouses, les protéger, les respecter).
Ainsi la structure des familles peuvent s'avérer complexes car souvent recomposées au gré des vendettas successives...

En ce qui concerne l'hommosexualité, d'après les lectures que j'ai pu faire, elle n'est pas catégorisée et différenciée comme elle peut l'être dans nos sociétés. Car chez nous, l'homosexualité porte toute la culpabilité du péché inculquée par nos origines judéo - chrétiennes. Si cette dernière semble beaucoup plus facilement admise de nos jours, elle ne reste pas moins une catgéorie de moeurs sexuelles faisant l'objet d'une différenciation avec l'hétérosexualité. Si l'homosexualité était parfaitement admise dans notre société, elle ne serait même pas nommée et différenciée de l'hétérosexualité...
Chez les a-shuars, elle semble admise, et, si des jeux sodommites peuvent apparaître entre des jeunes hommes, si ils deviennent connus de tous, ils ne font pas l'objet d'une réprobation collective mais de rires. Elle semble faire partie de l'aprentissage sexuel normal des jeunes gens.
Par ailleurs, un homme qui aurait le malheur d'effectuer les tâches féminines, s'occuper du jardin ect... fera l'objet d'un rejet collectif: L'homme peut avoir des relations homo, mais ne peut devenir socialement "femme"...

Visuel: "La charmeuse de serpents", Le douanier rousseau

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