03 septembre 2005

"A priori"




Depuis le début de ce blog, je vous parle de mon expédition en Amazonie, d'actualités des communautés que je vais visiter, et je recommande des ouvrages à lire pour une meilleure compréhension du projet. Mais de quel projet parle t'on ? Et bien c'est l'objet de ce post avec le texte ci-après écrit par Marc Sanchez, directeur des programmes du Palais de tokyo:

"A priori",

Valéry Grancher est un explorateur. Des territoires de l'art, des rapports humains ou des nouvelles technologies, c'est leur mise en relation qui l'intéresse et éveille sa curiosité investigatrice. Préoccupé par les données qui définissent aujourd'hui les rapports entre espace et temps, dans les télescopages auxquels nous confronte chaque jour le monde virtuel d'Internet, c'est à partir de leur dimension esthétique qu'il travaille et construit des propositions aux multiples croisements.
Quelles sont les données sur lesquelles se fonde l'identité dans un monde de partage et de transferts ? C'est en posant la question en termes de langage, de flux d'échanges ou de navigation comportementale que Valéry Grancher cerne, par boucles successives, un territoire dans lequel les objets du quotidien sont pris comme outils d'analyse et instruments de découverte des nouveaux enjeux sociaux et culturels du monde moderne.
Quel intérêt peut-il y avoir à mettre en relation directe un village d'indiens de la jungle profonde de Haute-Amazonie avec les visiteurs d'un centre d'art parisien ou avec les internautes habitués des blogs d'artistes ? D'un côté, l'un des derniers peuples libres de la planète, les Shiwiars, une communauté de quelques 700 âmes qui vit sur un versant de la cordillère des Andes, au plus profond d'une forêt dans laquelle la biodiversité est la plus grande et l'isolement le plus profond et, de l'autre côté, les habitués et pratiquants de la planète globale et communicante, férus de nouvelles technologies et de néologismes culturels. Qu'est-ce qui peut les relier ? Quels sont leurs intérêts communs et leurs points de divergence ? Comment se regardent-ils et connaissent-ils seulement leur existence réciproque ?

Il ne s'agit pas, ici, de pratiquer l'ethnologie analytique et comparative mais, bien au contraire, de poser la question de la pertinence de l'artiste à intervenir sur des sujets hors - a priori - de sa zone de compétence. A priori, car l'expérience prouve qu'il y a tout à gagner à poser son regard hors du champ connu et tout l'art du 20e siècle nous a tant de fois contraints à abandonner nos certitudes que l'habitude devrait en être prise. Carte blanche est donc donnée à l'artiste pour tenter l'expérience du lien, de l'immersion culturelle totale et, au nom d'un projet pour le Palais de Tokyo dont les formes d'apparition sont encore à inventer, mettre en pratique le "comment vivre ensemble".
Au cœur de ce groupe humain hédoniste, dans lequel chaque acte est un lien concret avec la cosmologie de la nature environnante, aux naturels rapports à la vie et à la mort, à la magie chamanique et aux conversations avec les esprits, Valéry Grancher devra apprendre à se déplacer, à créer un dialogue ouvert et subtil pour que chacun y trouve son compte et qu'un lien nouveau soit tissé entre des univers que tout semble opposer - a priori.

Marc Sanchez