12 novembre 2005

Valéry Grancher, "Réponse"




Valéry Grancher
« Réponse »
par Marc Sanchez
10 novembre 2005

Plus de deux mois après le lancement de l’opération baptisée « The Shiwiars Project », nous voici à l’heure de la réflexion sur le chemin parcouru, sur les actes produits et sur les objectifs atteints ou non.

Le lien avec la communauté Shiwiars de Tanguntsa a été établi, l’artiste a séjourné sur leurs terres, partagé leur quotidien, chassé à la manière indienne, joué avec les enfants, goûté à la boisson préparée par les femmes. Le temps passé en leur compagnie a pourtant été bref, s’écoulant au rythme de journées dont la lumière du soleil, absente dès six heures le soir, obligeait à accompagner le cycle de la nature au plus près. Malgré la distance culturelle incommensurable, la conversation s’est engagée et le dialogue sans mots était parfois le plus intense lorsque tout devait se dire par la seule expression des regards.

La présence de l’artiste sur place ne fut donc pas anachronique, la rencontre des objets ne produisit aucun heurt et la caméra numérique sembla aussi naturelle à l’indien que la sarbacane à l’artiste. Des images furent saisies pour être transportées en d’autres lieux, confrontées à d’autres cultures, à d’autres pratiques de l’espace et du temps. Les présents utiles le furent réellement, les cahiers d’écolier et les stylos à bille trouvèrent usage dans la case réservée à l’école. Le papier y est rare, les instruments précieux, écrire en bleu et en rouge est un luxe qui éclaire le sourire d’un enfant. Pour eux, le Palais de Tokyo aura été celui qui apporta un peu de couleur dans cette écriture inventée par les Shiwiars il y a seulement quelques années et qui, déjà, leur semble si naturelle qu’il l’envisagent sur des supports multimédias pour transporter leur culture ancestrale vers d’autres continents.

Puis le voyage se fit en sens inverse. De la forêt amazonienne à la jungle parisienne, Pascual Kunchicuy franchit la distance sans états d’âmes et avec un naturel qui stupéfiât ceux qui l’on croisé dans les bureaux du Palais de Tokyo, dans les rues de Montmartre ou dans les tables rondes publiques pour débattre du bien fondé du « Shiwiars Project ». « Paris est faite d’arbres sans feuilles, de pierres et d’hommes », dira-t-il au terme d’une grande journée d’exploration de la capitale. Les pierres et les hommes sont rares dans sa forêt et les feuilles, lorsqu’elles tombent de l’arbre, en annoncent seulement la mort prochaine.

De cette aventure, reste un film de six heures. Un plan fixe du village qui rend compte du lent déroulement d’une journée comme les autres. Le vent dans les feuilles, un nuage qui change la lumière du ciel, un passant qui coupe le champ de la caméra, un poulet qui picore. Dans ce film il ne faut pas chercher l’anecdote, l’histoire exotique, le compte-rendu de l’événement. C’est d’un déplacement dont il s’agit, d’une brèche ouverte dans l’espace du Palais de Tokyo pour y insérer un peu du temps et de l’espace de Tanguntsa. Tel qu’il est. Sans artifice, brut.

Le décalage est aussi radical dans l’espace d’exposition qu’il le fut dans le village amazonien. Et si quelques clés sont livrées pour saisir l’ampleur de l’image, elles n’ont valeur que de commentaire, tel le blog de l’artiste sur Internet ou le film documentaire tourné pendant chacun des jours du voyage.

« The Shiwiars Project » aura donc été une véritable aventure humaine. Celle de la confrontation, de la prise de conscience respective des différences, mais, surtout, celle de l’activation des nombreux points de coïncidence révélés par le chemin parcouru ensemble. Le collage en une seule image de ces deux paysages dévoile la pertinence de la rencontre, la force plastique du rapprochement et, pour la première fois depuis le début de l’histoire, apporte les éléments d’une réponse aux nombreuses questions posées par l’expérience.

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