Un lien entre le peuple Shiwiar, vivant en Haute-Amazonie,
et le Palais de Tokyo, site de création contemporaine, à Paris.
Un projet de Valéry Grancher 2005
31 juillet 2006
"Escale estivale" France Inter 25 Juillet 2006 18h13:37
Le 25 Juillet dernier à 18h00 Marc Sanchez et moi étions interviewés sur l'exposition "Tropico vegetal lots in paradise", pour ma part cette itw portait sur le "shiwiars project" et le film "Tanguntsa Amazonie 0":
J'ai le plaisir ici d'en publier la scription de cet entretien :
25/07/2006
France inter
"Escale estivale"
Emmanuel KHERAD
HEURE 18:13:37
DUREE 00:15:08
Emmanuel KHERAD : Mais avant tout cela, nous recevrons Marc Sanchez, directeur des programmes du Palais de Tokyo, et l'artiste Valéry Grancher, à l'occasion de l'exposition "Tropico-Végétal" qui se tient jusqu'au 27 août, une vision artistique et écologique de la nature sauvage. Un DVD et un livre sont également parus et disponibles dans toute la France. Et on commence avec Donovan Frankenreiter, "Move by yourself". C'est "Escale estivale" jusqu'à 19h00. Bonne soirée !
Musique
Jingle
Emmanuel KHERAD : Marc Sanchez et Valéry Grancher sont les invités de cette première partie d'Escale. Alors vous êtes parmi nous à l'occasion de l'exposition "Tropico-Végétal" sous-titrée "Lost in Paradise", qui se tient au Palais de Tokyo à Paris jusqu'au 27 août. Valéry, vous, vous avez réalisé un DVD qui s'appelle "Tanguntsa Amazonie 0". Et ce DVD nous entraîne dans la jungle amazonienne dans un village considéré comme l'un des lieux les plus extrêmes de la planète.
Valéry GRANCHER : Oui, tout à fait.
Emmanuel KHERAD : Et vous avez rencontré là-bas le chef...
Valéry GRANCHER : Voilà.
Emmanuel KHERAD : ... le chef du village.
Valéry GRANCHER, Artiste : Alors pour préciser un petit peu l'endroit, c'est exactement la basse Amazonie de l'Equateur, la frontière Equateur-Pérou. Le chef de... la tribu visitée, ce sont les Jivaros, les réducteurs de têtes. Et c'est une tribu de 700 âmes qui se nomme les Shiwiars. Et j'ai rencontré là-bas le chef qui s'appelle Wonzalo et le chef de la confédération politique, puisqu'ils ont (eur petite confédération politique, qui s'appelle Pascual.
Emmanuel KHERAD : D'accord.
Valéry GRANCHER : Voilà.
Emmanuel KHERAD : Est-ce que vous vouliez nous faire découvrir le lieu, la population avec un regard d'ethnologue ?
Valéry GRANCHER : Ce n'est pas vraiment un regard d'ethnologue parce que c'est une démarche scientifique, l'ethnologie. Pour moi, c'était un regard d'un visiteur, c'est-à-dire le fait d'être complètement étranger à ce monde et de vivre avec eux, et de voir un peu ce qui s'y passe et comment ça se passe entre nous. Et finalement, il y a eu... plein de choses se sont manifestées par la suite puisque ça a donné un projet qui a couru sur une année au Palais de Tokyo.
Emmanuel KHERAD : Mais vous, vous êtes artiste, Valéry ?
Valéry GRANCHER : Oui.
Emmanuel KHERAD : Alors, est-ce que vous êtes artiste ou ethnologue ?
Valéry GRANCHER : Artiste.
Marc SANCHEZ : Vous vous sentez proche de quelle discipline ?
Valéry GRANCHER : Non, non, non ! C'est pour ça que je vous dis que c'est le regard d'un individu. L'art, ce n'est qu'une affaire de regard sur le monde et c'est de ça que cela parle essentiellement.
Emmanuel KHERAD : Oui.
Valéry GRANCHER : Et le film retrace justement toutes les phases de ce regard.
Emmanuel KHERAD : Une histoire de regard sur le monde. Marc Sanchez, c'est une définition qui devrait vous plaire parce qu'au Palais de Tokyo, vous avez, comme cela, cette dimension...
Marc SANCHEZ, Directeur des Programmes du Palais de Tokyo : On aime regarder le monde.
Emmanuel KHERAD : Voilà.
Marc SANCHEZ : On aime regarder le monde.
Emmanuel KHERAD : ... d'ouverture culturelle. Parfois, vous allez un peu trop loin mais bon, c'est votre façon de faire aussi, de provoquer les choses. Alors Marc Sanchez, l'idée de cette exposition, c'est effectivement d'attirer l'attention des Occidentaux sur la réalité des soi-disant... la réalité sociale des soi-disant paradis ?
Marc SANCHEZ : Alors cette exposition est en fait une série d'expositions. C'est un programme qui s'appelle "Tropico-Végétal" qui réunit cinq artistes et cinq territoires qui sont autonomes en fait, qui n'étaient pas forcément faits pour se rencontrer. Et dans le cadre de ce programme, on a mis en relation, on a mis en dialogue ces différents territoires en leur trouvant des points de correspondance. Le premier point de correspondance, c'est le fait qu'ils sont tous concernés par les tropiques au sens géographique du terme, mais aussi au sens mythique, mythologique, tout ce que cela représente le mot "tropique" déjà comme images. Le deuxième point de correspondance, c'est le lien avec un univers plastique de référence qui est l'univers végétal. Et donc on a pris comme ça plusieurs projets. On les a mis en espace. On les a mis en dialogue et ça a construit ce programme, à l'intérieur duquel intervient aussi Valéry Grancher dans une des soirées que l'on a appelées "Les nuits tropicales" - il y en a une dizaine en tout, tout au long de ce programme. Et tout ceci, eh bien, est censé montrer que, eh bien, que l'art va aussi sur des territoires parfois sur lesquels on ne l'attend pas a priori.
Emmanuel KHERAD : Alors quand on dit que "les tropiques, c'est un paradis, ce sont des paradis terrestres", est-ce que c'est un raccourci intellectuel pour vous ? Puisque, quand on voit votre exposition, ou le DVD, ou même le livre de Sergio Vega qui a été publié à l'occasion de cette exposition, qui est l'un des trois catalogues de l'expo, on s'aperçoit qu'il y a un message, un message politique, écologique.
Marc SANCHEZ : Absolument. Une des parties de l'exposition confronte deux projets d'artiste : celui de Sergio Vega et celui d'Allora et Calzadilla. Le projet de Sergio Vega traite du paradis. Et il est parti à la recherche du paradis à partir d'un livre du XVIIe siècle qui le situait au Brésil, dans la région de Mato Grosso. Et donc il travaille depuis cette période, depuis plusieurs années, sur cette région-là puisque pour lui, il est allé sur les lieux qui étaient définis comme étant le paradis ; puisque, jusqu'à il y a encore un siècle, on parlait du paradis au présent. On disait : "Le paradis est là. Le paradis se trouve là". Maintenant, on dit : "Le paradis se trouvait...", on en parle au passé. Mais il y a encore très peu de temps, on avait vraiment l'impression que quelque part sur terre, il y avait un lieu qui était censé être le paradis terrestre.
Emmanuel KHERAD : Mais on a toujours cette impression-là quand on pense à certaines îles.
Marc SANCHEZ : Oui, maintenant on regarde plutôt vers les nuages et puis, c'est un paradis...
Emmanuel KHERAD : Oui, c'est un autre paradis qui est là, hein, pour le coup !
Marc SANCHEZ : ... je dirais, qui se rapproche des images du Club Méditerranée ou des images...
Emmanuel KHERAD : Oui.
Marc SANCHEZ : ... un peu comme ça, de ce qui est censé être une situation idéale, "paradisiaque".
Emmanuel KHERAD : Alors, vous n'avez pas répondu à ma question Marc Sanchez.
Marc SANCHEZ : Oui, voilà ! Et ce projet-là...
Emmanuel KHERAD : Est-ce que c'est un raccourci intellectuel de dire que les tropiques, ce sont des paradis terrestres ?
Marc Sanchez : Bien sûr, c'est un raccourci intellectuel et c'est même faux. C'est une caricature. La preuve : la deuxième partie de ce que je voulais vous dire, c'était cette exposition d'Allora et Calzadilla qui parle d'une île paradisiaque, l'île de Vieques, qui est au large de Porto Rico et qui a été prise pendant quarante ans par les Américains comme un centre d'essai pour les tirs de bombardement et les bombardements alors que l'île est habitée hein, et par des cultivateurs de bananes, notamment. Et maintenant qu'ils ont réussi à mettre dehors les Américains, depuis quelques années, ils l'ont transformée en paradis. Et les touristes qui vont là-bas, qui voient cette île magnifique, eh bien, ne se rendent pas compte que ce paysage, ces paysages qu'ils admirent, eh bien, en fait sont dus à des bombardements incessants depuis plus de quarante années. Donc en fait, l'idée du paradis, elle peut parfois aussi reposer sur le chaos ou sur des situations qui sont beaucoup plus extrêmes que celles auxquelles on pourrait s'attendre.
Emmanuel KHERAD : Et puis, il y a le paradis que l'on imagine aussi dans certaines îles, dans certains pays, et des pays pauvres et c'est vrai que le livre de Sergio Vega montre cela, montre l'urbanisation aussi, c'est-à-dire le modernisme qui arrive et qui se confronte à la nature, donc à la jungle amazonienne aussi. Vous avez retrouvé cela, vous, quand on parle de catastrophes écologiques en Amazonie, vous, Valéry Grancher, quand vous êtes allé dans ce village ?
Valéry GRANCHER : Oui, très clairement.
Emmanuel KHERAD : Vous avez ressenti un changement, même si vous y alliez pour la première fois ?
Valéry GRANCHER : Eh bien, c'est... pour moi, ce qui a été le plus choquant, c'est tout simplement qu'il y a un réchauffement terrible qui fait que les niveaux des cours d'eau diminuent, la température augmente. Donc le poisson se fait plus rare et toute la chaîne alimentaire est perturbée. Et quand vous pensez que la communauté que j'ai visitée, c'est 6 adultes, 14 enfants vivant à plus de 1 heure 30 de la première présence humaine, 1 heure 30 en avion, vous avez un équilibre très précaire. Et ce déséquilibre se fait fortement ressentir parce que finalement, vous n'avez aucune présence occidentale, vous ne voyez pas de trait blanc dans le ciel ni de jet, il n'y a pas de bruit, vous êtes dans la nature. Et il y a une sorte de... il n'y a plus de distance entre vous et la nature. Et il y a quelque chose de terrible qui vous rappelle qu'on est là, et on trouve moins de gibier, on trouve moins de poissons, l'eau diminue. Ils ont des maladies qu'ils n'avaient pas auparavant, qu'ils attrapent. Les eaux peuvent être contaminées par des exploitants de pétrole ou des orpailleurs. Voilà ! Il y a toute une série de problèmes terribles.
Emmanuel KHERAD : Et le chef, vous l'avez fait venir à Paris...
Valéry GRANCHER : Oui.
Emmanuel KHERAD : ... dans le cadre de votre projet, notamment dans le cadre de cette exposition. On peut percevoir votre travail soit comme un travail d'ethnologue, comme on le disait, soit comme du voyeurisme aussi alors !
Valéry GRANCHER : Ce n'est pas...
Emmanuel KHERAD : Parce que pourquoi est-ce que vous avez voulu faire venir le chef amazonien ?
Valéry GRANCHER : Alors, c'était... parce que ce qui était important, pour moi, c'est qu'il y ait une bijection. Une bijection, c'est une relation dans les deux sens. Je me suis déplacé chez lui et il était important qu'il vienne chez nous aussi pour parler justement de sa vie, parce que je ne peux pas usurper sa parole. Il était important qu'il explique ces problèmes-là, qu'il explique ces contraintes. Et à la fois il était très heureux que ce contact ait pu s'établir, parce que finalement c'était une relation de deux personnes et il n'y avait pas de jugement de part et d'autre. On a simplement regardé de façon réciproque nos deux mondes et savoir comment on peut vivre ensemble. C'est ça la question du projet. Comment on peut vivre en respectant ces gens-là ?
Emmanuel KHERAD : Oui, parce que j'allais dire, eux, ils n'ont peut-être pas envie de vivre avec nous.
Valéry GRANCHER : Non.
Emmanuel KHERAD : Ils sont très bien dans leur village et...
Valéry GRANCHER : Non. Tout à fait. Et maintenant ils établissent un contact actif parce qu'ils n'ont pas le choix.
Emmanuel KHERAD : D'accord.
Valéry GRANCHER : Parce qu'ils ont compris que finalement, s'ils veulent continuer à exister, il faut qu'on sache qu'ils existent. Et que pour qu'on sache qu'ils existent, ils doivent aller vers nous, ils doivent établir un contact. Et c'est un peu en contradiction de, justement, leur mode de vie qui consiste à vivre entre eux tranquillement dans leur paradis, parce que pour eux, ils ont une relation paradisiaque avec leur nature justement.
Emmanuel KHERAD : Et l'art a un rôle à jouer alors d'après vous ? C'est-à-dire qu'on peut mener des travaux artistiques pour dénoncer ou attirer l'attention...
Valéry GRANCHER : Complètement.
Emmanuel KHERAD : ... dire : "Voilà ! En occident, on a cette perception, et moi avec mes outils, avec la photographie, avec...
Valéry GRANCHER : La vidéo.
Emmanuel KHERAD : ... pourquoi pas les arts plastiques mais aussi évidemment, la vidéo, on arrive à susciter des choses" ?
Valéry GRANCHER : Je pense que dans différentes sociétés, l'art, c'est une médiation. C'est une médiation entre le monde, entre la nature... Au XIXe siècle, c'était question de regarder la lumière, le paysage, les impressionnistes, et aujourd'hui on est plus sur le regard des médias. Et c'est de ça qu'il s'agit, c'est de la médiation.
Emmanuel KHERAD : Alors Marc Sanchez, c'est vrai que dans l'exposition par exemple, vous présentez des piranhas, des orchidées, enfin toutes sortes d'espèces végétales et animales. C'est de l'art vivant pour vous ? C'est cela ?
Marc SANCHEZ : En tout cas, c'est de la vie qui fait partie de l'art. Un des projets dont vous parlez qui est cette forêt d'orchidées suspendue de Henrik Hakansson, ou cette forêt qui est couchée, ou bien ces animaux qui sont filmés avec des caméras de surveillance. Eh bien, pour lui, c'est une manière de prendre référence à partir d'un univers extrêmement codifié, l'univers végétal ou bien les animaux, et puis d'en faire autre chose qu'il déplace sur le territoire de l'art et de nous montrer donc les choses autrement.
Emmanuel KHERAD : C'est-à-dire que vous jonglez en fait entre l'erreur... l'horreur écologique - l'erreur, vous voyez le lapsus ? - qui se déroule en ce moment dans la forêt amazonienne par exemple, et le rêve des îles. C'est-à-dire votre provocation intellectuelle à vous, elle est là ?
Marc SANCHEZ : Tout à fait. C'est la place de l'art. La place de l'art, c'est de secouer un petit peu l'équilibre des choses pour rendre visible certaines choses qui ne le seraient pas de prime abord, ou bien pour faire réfléchir tout simplement les gens à partir d'une situation donnée.
Emmanuel KHERAD : En leur donnant de la matière pour s'extasier aussi puisque...
Marc SANCHEZ : Tout à fait.
Emmanuel KHERAD : ... c'est vrai que vous dénoncez un peu le regard de l'occidental, et puis en même temps, vous lui donnez de quoi s'extasier dans votre exposition.
Marc SANCHEZ : Bien sûr ! Parce qu'il ne s'agit pas non plus de nier le droit au plaisir que l'on a quand on visite une exposition, hein ! L'exposition de Sergio Vega est très agréable, l'exposition de Henrik Hakansson aussi. Ce sont des lieux aussi où on joue sur tous les terrains : sur le terrain aussi de la séduction, sur le terrain de la beauté au sens le plus large et traditionnel du terme, mais aussi sur celui du simple fait de maintenir l'esprit en éveil et l'esprit critique surtout.
Emmanuel KHERAD : Merci beaucoup Marc Sanchez et Valéry Grancher. Je rappelle que l'exposition "Tropico-Végétal, Lost in Paradise" se tient au Palais de Tokyo jusqu'au 27 août. Le DVD de Valéry Grancher se nomme "Tanguntsa Amazonie 0", il est disponible dans les librairies spécialisées, mais aussi sur Internet. Merci à vous deux. On laisse les références en tout cas sur notre site à nous Internet franceinter.com, rubrique "Escale estivale". Merci.
Marc SANCHEZ : Merci.
Valéry GRANCHER : Merci.
Emmanuel KHERAD : Et on quitte la nature et les paradis terrestres pour retrouver le Kamasutra de Michel Polnareff. Encore que le Kamasutra, ça peut nous rapprocher du paradis. Bonne soirée à vous sur France inter.
Valéry GRANCHER : Il n'y a rien de plus naturel !
FIN
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire